• Le principe de l’indissolubilité en orthodoxie

Extrait du livre:

LA RUPTURE DU LIEN CONJUGAL ET LA QUESTION DU REMARIAGE
Perspectives orthodoxes, catholiques et protestantes.

Auteur I. ANA. Bruxelles 2016. Copyright.

I. Introduction

  1. Mariage Divorce Remariage. Introduction

II. Perspective orthodoxe

    1. L’évolution du mariage. Le divorce
    2. L'indissolubilité en orthodoxie. Le divorce religieux
    3. Références canoniques orthodoxes sur le remariage
    4. La celebration du remariage orthodoxe. Conditions
    5. Église orthodoxe : échec du mariage et remariage
    6. L'indissolubilité en orthodoxie. Le divorce religieux
  • III. Perspective catholique

    1. L'Eglise Catholique face a l’échec du mariage
    2. Le mariage catholique est-il vraiment indissoluble?
    3. La dissolution des unions matrimoniales catholiques
    4. Causes et motifs pour demander la nullité du mariage
    5. Comment demander la nullité du mariage catholique
    6. Pastorale personnes divorcées, remariées civilement

    IV. Perspective protestante

    1. La simplicité de la cérémonie du mariage protestant
    2. Le divorce et le remariage dans les Églises protestantes
    3. Ceremonie de mariage pour aux couples homosexuels

    V. Conclusions

    1. La position des Églises sur le mariage et le remariage

    Regardons brièvement quelle est la conception orthodoxe de l’indissolubilité du mariage, en rapport avec le divorce et le remariage.
    Même si l’indissolubilité appartient au mariage en sa visée eschatologique, l’Orthodoxie accepte le fait que l’Église ne s'identifie pas au Royaume des cieux. De ce fait, elle peut admettre l’échec de certains couples et ainsi permettre les secondes noces. Le principe de l’indissolubilité est toujours en lien avec une « tradition de tolérance ».
    Le Nouveau Testament n’enseigne pas l’impossibilité du divorce total , quand un tel divorce est accordé par l’Église en vertu de son autorité divine. En d’autres termes, l’Église orthodoxe a « toujours compris que Jésus n’a pas interdit le divorce total et le remariage. »


    Les textes de Matthieu 19,3-12, de Marc 10,2-12, de Luc 16,18, de Luc 5, 31-32 et de 1 Corinthiens 7, 10-16 ont suscité une littérature très abondante.
    L’étude des contextes ne nous fournit guère de renseignements : Matthieu et Marc présentent la discussion de Jésus avec les Pharisiens dans un contexte général d’enseignement, avec un double aspect de discours prononcé devant la foule (Mc. 10,1 ; Mt. 19,2) et de questions posées par les disciples (Mc. 10,10 ; Mt. 19, 10). Luc ne reprend pas la discussion avec les Pharisiens, mais se contente d’insérer un verset sur cet article de la Loi, entre la parabole de l’Économe infidèle et celle du mauvais riche. Quant à Paul, il répond à une série de questions posées par l’Église de Corinthe.
    L’authenticité de ces textes n’est remise en question par aucun exégète à notre connaissance. Au cours des siècles, l’un ou l’autre ont tenté de démontrer que les deux incises de Mt. (5,32 ; 19,9) seraient interpolées.

    La légitimité du divorce est hors de question pour les juifs. Ce que les Pharisiens espèrent obtenir, c’est que le Christ se prononce pour l’une ou l’autre des écoles rabbiniques. Jésus condamne le divorce en se référant au texte Genèse 1, 23-24. Il restaure un ordre primitif inscrit dans la nature même de la Création, œuvre de Dieu. Si les interprétations des textes de Marc et de Luc ne posent guère de problème, le « hormis le cas d’adultère » de Matthieu et l’exception paulinienne dans le cas d’un mariage mixte sont au contraire l’objet d’infinies controverses, depuis la littérature patristique jusqu’à nos jours.

    Au départ, une distinction radicale oppose la tradition de l’Église orthodoxe à celle de l’Église catholique. La première tient l’incise de Matthieu pour une exception à la loi de l’indissolubilité : en cas d’adultère, le mariage est dissout et les deux parties peuvent contracter une nouvelle union. La tradition catholique est unanime pour refuser de voir une exception dans la clausule de Matthieu. Il faut faire une distinction entre la dissolubilité intrinsèque et la dissolubilité extrinsèque.

    Dans le premier cas, les conjoints ont le droit de dissoudre le contrat de mariage. D’après le Loi de Dieu et de l’Église, le mariage est indissoluble d’un point de vue intrinsèque. Dans le deuxième cas, à savoir l’indissolubilité extrinsèque, une autorité extérieure aux conjoints, comme L’État, l’Église ou Dieu, peut dissoudre le mariage. Le divorce et le remariage sont permis par les lois de toutes les grandes confessions religieuses et de tous les États, excepté l’Église catholique qui maintient que les mariages sacramentels « ne peuvent être dissous pour quelques raisons que ce soit, sauf par la mort ».

    Dans l’Orthodoxie, l'indissolubilité du lien matrimonial cesse après la mort physique d'un des conjoints ou bien, comme nous l’avons évoqué plus haut, par l'adultère commis par l’un des deux époux.
    Le divorce et le remariage sont donc acceptés actuellement dans l'Église orthodoxe pour autant qu’un des deux conjoints soit victime de l'adultère de la part de son partenaire. Le remariage est aussi permis si une sorte de mort frappe la vie du couple, par exemple, la folie incurable, la condamnation pénale avec incarcération ou réclusion à vie, la disparition d'un des conjoints, qui dure depuis plus de cinq ans, etc.

    D'un point de vue scripturaire, le remariage du conjoint coupable avec une autre personne était interdit, et ce, jusqu’à la mort de l'époux (épouse) innocent(e). Par ailleurs, un conjoint coupable n'avait pas le droit d'épouser la personne qui avait provoqué le divorce. Au VIème siècle, sous le règne de l'empereur Justinien, le mariage de l'époux coupable commence à être permis, pour autant qu'une période de plus de cinq ans se soit écoulée depuis son divorce. L'attitude de l’Église orthodoxe vis-à-vis du divorce est confirmée par un grand canoniste roumain, Nicodim Milas qui affirme que le lien matrimonial conclu religieusement peut être défait seulement par la mort ou encore par l'adultère, lequel en lui-même est plus puissant que la conception de l’Église concernant l'indissolubilité du mariage. L'adultère détruit la base morale et religieuse du mariage. Il est la mort elle-même, mais sous une autre forme. Le divorce ecclésiastique est admis par l'Église orthodoxe et provoque la cassure complète du sacrement du mariage.

    Mgr Timothy Ware affirme : « Tout en condamnant le péché, l’Église aide les pécheurs en leur permettant une deuxième chance. Et lorsqu’ un mariage a cessé d’être une réalité, l’Église orthodoxe n’exige pas qu’on préserve ce qui n’est plus qu’une fiction légale. Le divorce est donc accordé comme une exception, une concession nécessaire au péché humain ; c’est un acte d’économie (ou dispensation) et de philanthropie (charité divine). Mais en aidant l’homme et la femme à se relever après leur chute, l’Église orthodoxe sait qu’une deuxième union ne peut jamais être pareille que la première, et c’est pourquoi, à un second mariage, toute une partie de la cérémonie de joie est supprimée et remplacée par des prières pénitentielles. » L’accent est mis sur le déploiement du sacrement dans la vie concrète des époux et non sur le formalisme d’une fiction légale canonique. Le mariage n’existe plus quand les époux se haïssent et vivent séparément.

    L’archiprêtre Alexis Kniazeff présente avec originalité l'essentiel de la doctrine et de la pratique de l'Église orthodoxe en matière de mariage et remariage : « C'est parce que dans le sacrement du mariage, l'amour entre l'homme et la femme reçoit son accomplissement ultime que l'Église considère que l'idéal pour les chrétiens ne peut être qu'un mariage unique. Condescendant à la faiblesse humaine, elle admet un second et un troisième mariage : le rituel des secondes et troisièmes noces est moins solennel que celui des premières et comporte des prières de pénitence. Le droit canon exclut l'éventualité d'un quatrième mariage et l'Église refuse de le bénir [...].

    Le divorce est en effet un péché contre la foi et contre l'engagement dans l'amour. C'est aussi un péché contre le sacrement célébré puisqu'il mène à la destruction de cette ’’ une seule chair‘‘ que le sacrement crée, c'est-à-dire la nouvelle réalité de la grâce que sont devenus les époux bénis par l'Église.

    C'est pourquoi l’Église orthodoxe n'admet le divorce que dans des cas bien définis, par exemple dans le cas du péché d'adultère, montrant ainsi qu'entre les époux l'amour et l'unité humaine ont complètement disparu par le fait du péché. Elle ne permet pas et ne reconnaît pas le divorce par consentement mutuel. Et si le divorce est inévitable, elle peut imposer une épithémie (pénitence) à la partie fautive en lui interdisant un nouveau mariage pendant un temps assez long. Après divorce elle ne bénit un éventuel nouveau mariage que sur sanction de l'évêque. » Même si « l'Église considère que l'idéal pour les chrétiens ne peut être qu'un mariage unique », le père Alexis expose la pratique de l’Église orthodoxe qui condescend à la faiblesse humaine, quand cela s’impose.

    Michel Laroche, en commentant ce texte, fait une analogie entre la réalité charismatique du mariage et la parabole des talents en disant que « si les époux enterrent (…) leur talent du sacrement, il n’y a plus les éléments constitutifs qui participent à la réalité charismatique du mariage ». Nous comprenons aussi, à partir de ce texte, que l’Église orthodoxe, par le pouvoir que Jésus Christ lui a conféré, peut, avec regret, délier les conjoints du sacrement du mariage dans le cas de la disparition de la réalité charismatique du mariage dans la vie des époux. Une précision s'impose pour la dernière partie du texte cité, concernant le divorce par consentement mutuel. D’une manière générale cela est vrai, sauf quand les époux décident de divorcer pour un motif de foi, à savoir qu’ils veulent se dédier complètement à la vie ascétique.


    2. Le divorce religieux


    Depuis toujours, l'Église orthodoxe a soutenu l’idéal de l'unicité du mariage chrétien ainsi que la permanence du lien matrimonial entre les conjoints. Cette unité et cette permanence sont mises en comparaison par saint Paul avec l'union durable qui existe entre le Christ et Son Église. Il est évident qu'un divorce tue le mariage. Cependant, puisque le Christ admet une exception à la répudiation «en cas d'union illégale», donc au divorce, l'Église accepte l'adultère comme la principale raison du divorce: « Si quelqu'un répudie sa femme, sauf en cas d'union illégale, et en épouse une autre, il est adultère» (Mt., 19,9).


    Le mot porneïa est traduit différemment selon les traducteurs : « dans la version de la Bibliothèque de la Pléiade, nous lisons le mot prostitution ; dans celle de sœur Jeanne d’Arc, c’est concubinage ; dans celles du chanoine Osty et de Crampon, nous trouvons fornication ; et enfin dans la TOB, c’est l’union illégale ou l’impudicité, qui sont proposées » . Ce mot désigne l’action délétère à caractère sexuel, en se rapportant à une union sexuelle interdite, extraconjugale, alors que le mariage n’est pas formellement rompu entre les époux. Le mot moixao est traduit dans tous ces ouvrages par adultère. Dans son contexte, il parle de la situation qui est provoquée par la séparation.


    Dans le même esprit, les canons 9, 18, 35 et 77 de saint Basile le Grand, 48 apostolique, 87 et 93 Trullo, 23 Ancyre, 102 Carthage, traitent la question du divorce. S'appuyant sur les textes de Mt. 5,32 ; Mt. 19,3-9 et Mc. 10, 11-13, saint Basile dit que autant l'homme que la femme peut demander le divorce pour cause d'adultère. Alors que dans la vie sociale romaine de l'époque, le mari avait plus de droits que la femme, l'enseignement canonique de l'Église reconnaît l'égalité des droits entre les conjoints.

    Au long de l'histoire, plusieurs autres raisons de divorce ont été acceptées par l'Église orthodoxe :
    - celles qui produisent la mort religieuse, comme l'hérésie, l’apostasie ;
    - celles qui produisent la mort morale, comme le crime, l'aliénation incurable, l'avortement, l'attentat à la vie du conjoint, le refus de la vie conjugale;
    - celles qui produisent la mort civile, comme l'annulation d'un mariage par décision judiciaire, l'entrée en monachisme, la vocation d'être choisi évêque.

    Pour ces raisons de divorce, jusque 1865 en Roumanie, ces jugements étaient prononcés par les tribunaux ecclésiastiques de l'Église Orthodoxe. Depuis cette date, les jugements des cas de divorce reviennent aux instances civiles.

    Le divorce civil produit seulement des effets juridiques. Il ne produit pas d'effets de grâce ou sacramentels. Autrement dit, un mariage défait par un divorce civil reste valable du point de vue sacramentel. Pour qu'un mariage soit défait complètement, il faut passer par un divorce religieux ou ecclésiastique. En pratique, pour obtenir un divorce religieux, il faut s'adresser par écrit à l'évêque.
    Seul l'évêque est en mesure de déclarer un divorce religieux. «Il peut accorder des dispenses ecclésiastiques au mariage religieux et il peut défaire le mariage sacramentel après la prononciation du divorce civil par le tribunal civil» (Article 90 du Statut de l'Église orthodoxe roumaine).

    La prononciation du divorce religieux a pour but de séparer les deux ex-époux, d’un point de vue de la grâce. Il n'est pas un acte sacramentel dans le cadre d'un office liturgique qui retire la bénédiction du mariage. L'évêque, lors de la prononciation du divorce religieux, signe un « livret de séparation » dans lequel il déclare que le mariage est défait. Le divorce religieux n'annule pas les liens de parenté qui ont été créés par le mariage des époux divorcés. En conséquence, dans le cas où un des deux divorcés voudrait se remarier avec une sœur, un frère, la mère, le père de son ex-conjoint, il ne peut pas, car il y a un empêchement.

    Le divorce religieux n'est pas un simple acte de chancellerie, car suite à son approbation par l'évêque, le mariage est défait et implicitement, les personnes concernées peuvent se remarier.
    Le divorce religieux produit aussi des effets concernant le droit des conjoints de se remarier, ainsi que la continuation des liens de parenté qui découlent entre les familles des conjoints par le sacrement du mariage. Quant au droit du remariage des divorcés, dans la pratique actuelle de l'Église orthodoxe, le divorce religieux ne prévoit plus de restrictions, alors que dans l’ancienne pratique, il produisait les restrictions suivantes :

    • le remariage du conjoint coupable était interdit jusqu’à la mort du conjoint innocent
    • le remariage du conjoint coupable avec la personne qui a provoqué le divorce était interdit.

    En pratique, le divorce religieux est rarement demandé. Dans le cas d'un remariage de deux ex-conjoints, le sacrement du remariage n'est plus administré en vertu de leur premier mariage sacramentel. Ils retrouvent, après une réconciliation et une communion eucharistique, l’état de grâce initial du jour de leur première noce.