• Le Divorce et le remariage dans les Églises protestantes

Rupture et divorce. Aujourd’hui encore, il est certain que la morale commune, en matière de mariage, est plus permissive que la morale chrétienne. Par exemple, la loi sur le divorce par consentement mutuel induit, dans la société française contemporaine, une sorte de banalisation du divorce à laquelle la conscience chrétienne résiste. Il est important, dans ce contexte, que l’Église rappelle que le mariage n’est pas un contrat à durée déterminée et qu’elle mette en valeur les promesses qui s’attachent à cette forme d’engagement .

Lorsqu’un couple en arrive néanmoins à un point de rupture et qu’il a honnêtement tenté d’éviter la cassure, lorsque la situation familiale a atteint une tension insupportable pour tous, alors il vaut sans doute mieux se résoudre au divorce, même s’il y a des enfants. Mais une union qui se brise ne laisse pas indifférente l’Église qui reste attentive, dans l’écoute et l’accompagnement pastoral, à la souffrance et au devenir des personnes divorcées et de leur famille.

Dans la tradition protestante, en particulier, s’est développée une forme de " sagesse pastorale " au nom d’une éthique de responsabilité. Par exemple : les problèmes de la violence conjugale (violences psychiques ou physiques, femmes battues et brutalisées), qui peut rendre la poursuite de la vie commune proprement "suicidaire". Plus sensible encore : la violence exercée sur les enfants, des enfants maltraités ou abusés sexuellement, les problèmes liés à l’alcoolisme, etc. Bref, toutes les situations dans lesquelles la poursuite de la vie commune peut devenir objectivement dangereuse, et engendrer des effets pervers bien pires que les conséquences négatives d’une séparation.

Dans nos sociétés occidentales, la fréquence des divorces a augmenté de façon spectaculaire depuis les années 1970 pour avoisiner les 40 % en moyenne nationale, et ce phénomène ne peut pas laisser indifférentes les Églises qui bénissent ces mariages. Les attitudes des Églises diffèrent donc en fonction de leur compréhension du mariage, et pour l’Église Protestante la rupture d’un mariage ne met pas en cause un sacrement d’indissolubilité. Le mariage est d’ordre civil, le divorce aussi.


Extrait du livre:

LA RUPTURE DU LIEN CONJUGAL ET LA QUESTION DU REMARIAGE
Perspectives orthodoxes, catholiques et protestantes.

Auteur I. ANA. Bruxelles 2016. Copyright

I. Perspective orthodoxe

  • Mariage Divorce Remariage. Introduction
    1. L'evolution du mariage. Le divorce
    2. L'indissolubilité en orthodoxie. Le divorce religieux
    3. Références canoniques orthodoxes sur le remariage
    4. La celebration du remariage orthodox. Conditions
    5. Église orthodoxe : échec du mariage et remariage
    6. L'indissolubilité en orthodoxie. Le divorce religieux

    II. Perspective catholique

    1. L'Eglise Catholique face a l'echec du mariage
    2. Le mariage catholique est-il vraiment indissoluble?
    3. La dissolution des unions matrimoniales catholiques
    4. Causes et motifs pour demander la nullite du mariage
    5. Comment demander la nullite du mariage catholique
    6. Pastorale personnes divorcées, remariées civillement


    III. Perspective protestante

    1. La simplicité de la cérémonie du mariage protestant
    2. Le divorce et le remariage dans les Églises protestantes
    3. Ceremonie de mariage pour aux couples homosexuels



    Pour la théologie protestante, l’amour et la sexualité sont des grâces accordées par Dieu à un homme et une femme, invités à vivre cette relation dans la durée et dans la fidélité, avec l’aide de sa bénédiction. Mais cette relation conjugale est une affaire pleinement humaine (ein weltlich Ding, disait M. Luther) où se jouent la responsabilité, mais aussi la fragilité et la faiblesse des créatures de Dieu. L’Église protestante ne fait pas du divorce un empêchement absolu d’un nouveau mariage, car elle fait passer l’accompagnement pastoral et humain avant les principes dogmatiques. Les statistiques de la société montrent bien qu’aujourd’hui près de un mariage sur deux se termine par un divorce, et qu’aucun couple, aussi croyant soit-il, n’est à l’abri d’une telle issue. L’amour et la sexualité, voulus et protégés par Dieu, sont affaires pleinement humaines où se jouent la responsabilité, mais aussi la fragilité et la faiblesse des créatures de Dieu.

    Un divorce est toujours une souffrance, et l’Église n’est là ni pour juger, ni pour ajouter de la souffrance à la souffrance en culpabilisant davantage les personnes qui vivent en général leur divorce comme un échec laissant des traces pendant longtemps. Plutôt que d’un jugement moral, les personnes divorcées ou en voie de l’être ont besoin d’une écoute et d’un accompagnement compétent qui puisse leur permettre de traverser leur épreuve et de retrouver sens à leur vie. L’encouragement à suivre des entretiens de conseil conjugal ou de thérapie du couple trouve ici tout son sens.

    Les protestants considèrent que la mission de l’Église et le message de l’Évangile est d’accompagner et de relever ceux qui tombent. En disant cela, il ne s’agit pas de banaliser le divorce, mais de témoigner de l’amour de Dieu qui accueille, relève et ouvre à un nouvel avenir. C’est pourquoi, le moment venu (si le travail de deuil de l’ancien couple a été effectivement fait : pacification des conflits, fonctionnement harmonieux des responsabilités parentales vis-à-vis des enfants), la bénédiction religieuse d’un nouveau mariage peut être envisagée par l’Église selon les modalités d’une préparation adéquate avec le pasteur sollicité.

    Le « oui »de Dieu est plus fort que son « non », et que donc les divorcés ne sont ni jugés, ni condamnés, ni exclus de l’Église. Parce qu’un remariage de divorcés ne doit en aucun cas séparer les personnes de la communion de Jésus-Christ, mais leur ouvrir de nouvelles perspectives de vie et d’espérance, l’Église propose des entretiens qui rendent attentif aux enfants qui vivront dans cette famille recomposée et au devenir du nouveau couple.

    L’Évangile est d’abord Parole de grâce et il vaut aussi pour les divorcés qu’ils se remarient ou non ; sa puissance peut leur ouvrir un avenir béni et la possibilité d’un nouvel amour. A titre d’exemple , regardons les points de vue de trois Églises protestantes : de l’Église réformée de France (a), de l‘Église baptiste (b) et de l‘Église pentecôtiste (c).

    • a.) Le divorce civil dans l‘Église réformée de France bénéficie d’une reconnaissance automatique. Si les époux ont obtenu un jugement de divorce d‘un Tribunal de Grande Instance, ils sont donc par ce fait même, divorcés aux yeux de l‘Église. Le couple n‘a aucune autorisation, ou procédure à demander à l‘Église avant de divorcer et n‘a même pas l‘obligation de l‘en informer. Après le divorce, l‘Église a un rôle d‘accompagnateur humain, si l‘un des époux en fait la demande.

    L‘Église réformée de France accepte le remariage sans condition. N‘importe quelle personne divorcée peut demander une nouvelle bénédiction de mariage. L‘Église réformée de France accepte même de remarier des couples catholiques, qui ne trouvent pas dans leur religion cette possibilité de remariage. Néanmoins, pour accéder à une telle demande, de tels couples doivent non pas se convertir au protestantisme mais au moins reprendre à leur compte certaines de ses valeurs.

    • b.) L‘Église baptiste a des arguments assez semblables de ceux de l‘Église réformée. L‘Église Baptiste respecte la décision des époux de divorcer et le jugement de divorce des tribunaux civils. Le divorce civil emporte divorce religieux. Néanmoins, partant de 1 Cor 7,10, l’ Église organise des réunions avec les couples qui sont en difficulté pour tenter de les réconcilier afin d‘éviter le divorce.

    La différence principale par rapport à l‘Église réformée réside dans la possibilité de remariage puisque elle n‘en accorde pas pour autant la possibilité de se remarier à tous les couples divorcés. L‘Église définit, toutefois, des cas tirés des écritures existantes, dans lesquels le remariage est possible. C‘est le cas du veuvage, mais également de l‘adultère ( Mat 19,8).
    S‘il n‘y a pas veuvage ou adultère, le remariage est difficilement envisageable. Dans les faits, l‘Église examine néanmoins chaque situation au cas par cas. Ainsi, lorsqu‘une personne s‘est mariée et a divorcé à une période durant laquelle elle n‘avait pas de vie religieuse, l‘Église accepte le remariage.

    • c.) Comme dans l‘Église réformée et dans l‘Église baptiste, dans l‘Église pentecôtiste, le mariage n‘est pas un sacrement. Il en résulte que lorsque les époux divorcent civilement, les époux sont également divorcés aux yeux de l‘Église pentecôtiste. Le divorce civil emporte divorce religieux. Aucune procédure n‘est nécessaire.Cependant, l‘Église reconnaît le divorce civil mais ne le tolère qu‘en cas d‘adultère, selon l‘Évangile. L‘Église admet néanmoins la possibilité du pardon.

    Le remariage est possible mais dans la discrétion. En théorie seule la mort pourrait rompre le lien du mariage. Dans la pratique, l‘Église pentecôtiste tolère le remariage. Les couples qui souhaitent se marier alors que l‘un d‘entre eux a divorcé d‘un précédent mariage doivent donc simplement s‘adresser au pasteur de leur église. Le nouveau mariage religieux du couple (qui se sera remarié d’abord civilement) prendra la forme pour d‘une prière dans le cadre de la célébration d‘un culte. Certaines conditions (discrétion, comportement raisonnable, etc.) peuvent être néanmoins posées pour qu‘un pasteur accepte de remarier une personne qui a divorcé. Elles diffèrent selon les églises pentecôtistes.


    • La légitimité ou la grâce

    Ceci dit, les divorces les plus fréquents ne sont sans doute pas ceux qui peuvent revendiquer une forme de légitimité biblique. Dans les Églises nous rencontrons aujourd’hui des hommes et de femmes qui portent, dans un passé parfois lointain, le poids d’un divorce imputable à des fautes ou à des faiblesses personnelles, qu’eux-mêmes dénoncent comme telles. Dans ce cas, la question d’un remariage ne se pose pas en terme de droit (est-il légitime ou non ?), mais en terme de grâce et de pardon, au titre des recommencements possibles en Jésus-Christ.

    Selon l’analogie de la foi, en effet, il apparaît difficilement concevable qu'une faute ou un échec dans le domaine conjugal devienne, en cette vie, la seule faute qui ne puisse être surmontée ou réparée par la grâce qui est en Jésus-Christ ? Plus parlant encore, lorsque l’échec du mariage ou est vécu de nombreuses années avant que cette personne ne se convertisse et naisse à la foi.

    Le pardon que Dieu lui offre en Jésus-Christ, l’espérance de renouveau et de reconstruction de sa vie qu’éveille en lui l’Évangile concerneraient-ils tous les points négatifs de sa vie passée sauf celui-là? C’est pourquoi il convient que les Églises chrétiennes manifestent une ouverture, au sujet de la bénédiction du mariage des divorcés, qui ne saurait se limiter au nombre des divorces qu’elle a reconnus légitimes. Au-delà du " droit ecclésiastique ", existe, dans la grâce, un espace de recommencements auquel l’Église doit faire honneur, chaque fois que le conjoint divorcé manifeste à cet égard une prise de conscience (et si besoin une forme de repentir) qui soit sincère devant Dieu.

    On ne saurait conclure sans adresser une parole fraternelle et pastorale à celui (ou à celle) qui, dans l'Église, est " condamné " à vivre ou à " survivre " avec le divorce. Cela peut être, pour lui, comme une écharde dans sa chair. Chaque jour, il demande à Dieu de la lui ôter, et chaque jour Dieu lui répond, comme il a répondu à l'apôtre Paul: " ma grâce seule te suffit, va désormais en paix " (2 Corinthiens 12. 7).

    En d’autres termes : la seule réponse que je te donne, c'est mon pardon. Il ne te sera pas nécessairement donné, ici-bas, de pouvoir réparer les conséquences de tes actions, ni de connaître le réconfort d’être pardonné par ceux que tu as meurtris. La seule réponse que je te donne, mais n’est-ce pas la plus essentielle, c'est mon pardon et ma paix.


    • Procédures régionales avant la bénédiction nuptiale des remariés

    Le Conseil Synodal de l’Église Réformée d'Alsace et de Lorraine a adoptée un texte pendant la séance du 16 Mai 1981. La décision du Synode de Nilvange le 12 octobre 1980 est tout autant évocatrice.
    Dans la liturgie de célébration de mariage, l'Église proclame l'indissolubilité de l'union conjugale : la fidélité est un don et une exigence, conformément à l'Évangile. Le ministère de l'Église, exercé en particulier par les pasteurs, comprend la prédication et l'enseignement sur la signification du couple, du mariage et de la bénédiction nuptiale. Ce ministère doit obligatoirement offrir une aide aux époux en difficulté et une possibilité de réconciliation. Lorsque ces difficultés conduisent les époux à se séparer, l'Église s'appliquera à faire tout son possible pour que les conjoints divorcés ne soient pas rejetés par la communauté.

    Sans porter un jugement sur les causes de l'échec, elle recevra toute demande de remariage d'un divorcé, conformément à la décision du Synode du 28 juin 1950 : « Tout remariage religieux d'une personne divorcée est soumis à la décision d'une commission spéciale nommée par le Conseil Synodal. Le pasteur intéressé sera entendu ». Le Synode du 12 octobre 1980 a maintenu en place la commission pour le remariage des divorcés ; celle-ci doit entendre, dans la mesure du possible, les pasteurs et les intéressés eux-mêmes ou ceux-ci communiquent effectivement tous les éléments indispensables pour une juste appréciation ; il est rappelé aux pasteurs qu'ils ont l'obligation de soumettre à la commission non seulement les demandes d'autorisation, mais aussi des projets de refus.

    Il appartient donc au pasteur de préparer lors de ses entretiens avec le couple un dossier qui ne soit pas simplement une formalité administrative, mais qui essaie de dégager les motivations du couple en répondant aux questions suivantes que la Commission de remariage estime être indispensables pour pouvoir émettre un avis. Ce dossier qui comprendra une copie du jugement de divorce sera adressé au moins 6 semaines avant la date présumée du mariage à la Commission de remariage des divorcés. Éléments Indispensables : Ils sont un minimum pour les entretiens et le bon fonctionnement de la Commission. Il va de soi que le pasteur peut aller plus loin :

    • Le conjoint divorcé

    État civil, profession, confession, date et lieu du 1er mariage. État civil du 1er conjoint, date du divorce, consentement mutuel ou autre ?
    Comment le demandeur analyse-t-il son échec ? A-t-il l'impression d'avoir eu une responsabilité dans cet échec ? Laquelle ? Quels efforts a-t-il fait pour maintenir l'union conjugale ? Pour cela a-t-il cherché de l'aide ou des conseils ? Auprès de qui ? L'information donnée par le conjoint divorcé permet-elle au pasteur de savoir quelle est la situation actuelle de l'ex-conjoint et sa réaction éventuelle en face de ce projet de remariage ? Quels sont les rapports actuels du demandeur avec son ex-conjoint ? Y a-t-il des enfants du 1er mariage ? Qui en a la garde ? Quels sont les rapports de ces enfants avec l'un et l'autre des parents ? Si le pasteur ne connaît pas le conjoint ou le couple divorcé, la Commission de remariage lui suggère de se renseigner auprès de la (ou des) personne(s) qui ont connu le couple (collègue, prêtre, conseiller conjugal, assistante sociale...).

    • Le futur conjoint

    État civil, profession, confession... Le futur conjoint a-t-il eu un rôle dans l'échec du 1er mariage ? Si oui, lequel ? Comment analyse-t-il cette situation ? Comment le nouveau conjoint se situe-t-il par rapport aux enfants du 1er mariage ? Quelle est leur place dans le nouveau couple ?

    • Le couple

    Dans quelle mesure le pasteur connaît-il ce nouveau couple ? Quelle est l'appartenance ecclésiastique des conjoints ? Comment se situent-ils par rapport à leur Église ou leur paroisse ? Le pasteur peut-il préciser à la suite des entretiens les raisons spirituelles pour lesquelles les futurs époux demandent une bénédiction ? Comment le couple envisage-t-il ses rapports à venir avec le milieu dans lequel il vivra, en particulier avec la communauté ? Attend-il quelque chose de cette communauté ? Si l'un des conjoints n'est pas protestant, des démarches ont-elles été faites pour préciser sa situation vis à vis de son Église ?

    Au terme des entretiens, quel est l'avis pastoral sur la réponse la plus vraie à faire à la demande ? Dans le cas où le couple peut exposer lui-même les motivations de sa demande, la Commission de remariage suggère au pasteur de l'encourager dans ce sens. Si tel n'est pas le cas, il est possible que le pasteur (ou même le couple, s'il le désire) rencontrent la Commission.


    • Crise conjugale et thérapie de couple

    En d’autres mots, les Églises protestantes prennent acte du fait que, malgré des engagements pris en toute bonne foi, même avec la bénédiction de Dieu, aucun couple n’est à l’abri d’une mésentente conjugale qui peut s’installer progressivement pour de multiples raisons, qui peut évoluer à bas bruit pour un jour éclater en crise plus ou moins grave. Mais une crise n’est pas forcément une fatalité : elle peut être l’occasion d’un remaniement très fécond de la relation souffrante à condition que le couple en crise accepte de faire une démarche soit pastorale, soit de conseil conjugal ou de thérapie de couple : en référence à sa théologie, le protestant croit en la vertu bénéfique, structurante et curative de la Parole exprimée, partagée, entendue. C’est pourquoi les Églises protestantes proposent des services à la fois de préparation à la vie de couple et de thérapie de couples.