• Le mariage catholique est-il vraiment indissoluble ?

Xavier Lacroix s’interroge si le mariage est vraiment indissoluble. Cette notion d’indissolubilité est du registre juridique, or ce registre n’est pas très bien reçu en pastorale. Cette notion a une connotation semblable aux mots : définitif, irrévocable, sans retour, inconditionnel. Notre société est plus habituée aux termes : contrat, révocable, provisoire, conditionnel, etc. L’indissolubilité du mariage parait être « en contradiction avec l’expérience, qui est celle des fragilités, des souffrances conjugales, des liens devenus destructeurs, du désir, après l’échec, d’une libération et d’un nouveau départ ».

Quels sont les fondements de l’indissolubilité ? Selon lui, il y a deux écoles qu’il faut articuler ensemble : l’une qui insiste sur les fondements « naturels », accessibles à la conscience morale, l’autre qui insiste sur les fondements révélés. Les fondements humains, pour affirmer l’indissolubilité, ont une triple dimension : empirique, éthique et eidétique. Du point de vue de la dimension empirique de l’indissolubilité, il faut dire que le lien du mariage est logiquement irréversible, voire indélébile, si on tient compte de la communauté de vie intime des époux durant des années, dans les moments de joie et de tristesse.

La dimension éthique est en rapport avec la fidélité et l’amour inconditionnel qui se vit entre les conjoints. Nous osons espérer que non seulement l’amour des parents est inconditionnel, mais que l’amour de notre épouse, ou de notre époux l’est aussi . Pouvons-nous imaginer un monde où uniquement les liens du sang seraient inconditionnels ? Bien sûr que non. Par ailleurs, seul l’amour inconditionnel nous oblige à connaître l’altérité au-delà des apparences, dans tous les moments de vie, que ce soit dans les épreuves les plus difficiles ou dans les plus grandes joies. Le troisième fondement, qu’il qualifie d’eidétique, d’essentiel, fait référence directe à l’alliance, autrement dit à l’irréductibilité de l’alliance matrimoniale.

Il faut distinguer le terme d’alliance de la notion de fusion et de la notion de contrat. Comme différence par rapport à la fusion, dans l’alliance, la séparation de l’altérité est honorée et aussi assimilée. Comme différence par rapport au contrat, les deux altérités ne restent pas extérieures l’une à l’autre. Quand un homme et une femme donnent leur consentement mutuel, ils s’accueillent réciproquement dans leur propre histoire. Une solidarité naît de telle façon que l’histoire de l’un est aussi l’histoire de l’autre, sans pour autant que les existences des conjoints puissent être confondues.


Extrait du livre:

LA RUPTURE DU LIEN CONJUGAL ET LA QUESTION DU REMARIAGE
Perspectives orthodoxes, catholiques et protestantes.

Auteur I. ANA. Bruxelles 2016. Copyright

I. Perspective orthodoxe

  • Mariage Divorce Remariage. Introduction
    1. L'evolution du mariage. Le divorce
    2. L'indissolubilité en orthodoxie. Le divorce religieux
    3. Références canoniques orthodoxes sur le remariage
    4. La celebration du remariage orthodox. Conditions
    5. Église orthodoxe : échec du mariage et remariage
    6. L'indissolubilité en orthodoxie. Le divorce religieux

    II. Perspective catholique

    1. L'Eglise Catholique face a l'echec du mariage
    2. Le mariage catholique est-il vraiment indissoluble?
    3. La dissolution des unions matrimoniales catholiques
    4. Causes et motifs pour demander la nullite du mariage
    5. Comment demander la nullite du mariage catholique
    6. Pastorale personnes divorcées, remariées civillement


    III. Perspective protestante

    1. La simplicité de la cérémonie du mariage protestant
    2. Le divorce et le remariage dans les Églises protestantes
    3. Ceremonie de mariage pour aux couples homosexuels



    La notion d’alliance est définie justement comme « l’entrée de deux histoires l’une dans l’autre », pour former un « nous ». Ce « nous conjugal » habite, transforme et modifie la vie des époux d’une manière irréversible, sans pour autant les englober, et sans les absorber. Un divorce ne pourra pas effacer cet état irréversible, car ni la conscience, ni la volonté ne peuvent y accéder. Même si ces dimensions sont proches de l’indissolubilité, cette dernière renvoie à une parole tierce, à une autorité, à l’altérité d’une instance, à une limite, à un interdit qui se traduit par un non-pouvoir.
    Comme aucune autorité humaine n’est en droit de dissoudre un mariage, il y a là l’intervention d’un droit, d’une loi. Ce droit a son histoire, il tire ses racines de l’interdit de l’Évangile et pourtant il est n’est pas le même, selon les diverses confessions chrétiennes.

    L’interdit évangélique s’exprime ainsi : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas». Xavier Lacroix remarque que l’interdit n’est pas une impossibilité et aussi que l’union n’est pas insécable matériellement. Il considère que « l’interdit le plus précis porte moins sur la séparation que sur le remariage ». Le droit canon de l’Église catholique accepte dans certains cas la séparation : « Si l’un des conjoints met en grave danger l’âme et le corps de l’autre ou des enfants ou encore si, d’une autre manière, il rend la vie commune trop dure, il donne à l’autre un motif légitime de se séparer. » Autrement dit, l’Église accepte la séparation des corps lorsque le maintien de la vie commune s'avère trop difficile, voire intolérable.

    Mgr Elias Zoghby, vicaire patriarcal melkite d’Égypte, a proposé, dans la séance générale du concile Vatican II du 29 septembre 1965, que l’Église catholique accepte une dispense de l’indissolubilité en faveur du conjoint innocent. Selon lui, il est regrettable que l’Église catholique inflige sa position restrictive aux conjoints célibataires qui épousent quelqu'un(e) qui est divorcé(e). L'échec matrimonial a été remis en question par l'Église pour mieux comprendre et assister moralement les couples en difficulté.

    Le Synode des évêques de 1980 considère l’indissolubilité comme étant le signe de la fidélité qui dure toute la vie, comme « l’image du don de la fidélité du Christ à son Église » et aussi « le fruit, le signe et l’exigence de l’amour irrévocable de Dieu pour son peuple ». Le fondement de l’indissolubilité du mariage se retrouve « dans le don total mutuel » que se font les conjoints. Nous savons qu’il y a des divorces qui sont vécus comme des soulagements par les époux eux-mêmes. Il y a aussi des divorces qui provoquent des souffrances. Et pourtant, le lien reste marqué dans la chair de chacun des conjoints, qui sentent qu’ils se sont séparés d’une part d’eux-mêmes.

    Inviter les fidèles divorcés et remariés à marquer le fait que leur situation est contradictoire avec le mystère de l’unicité de l’alliance paraît à Xavier Lacroix une procédure cohérente. Cependant, la privation illimitée dans le temps de presque tous les sacrements lui semble inconcevable. L’accès au sacrement de la réconciliation lui paraît nécessaire en préalable à celui de l’eucharistie et, contrairement à Paul de Clerck , il propose qu’une telle démarche ait lieu après le remariage, et non après le divorce. Pourquoi cela ? D’après lui ce n’est pas la séparation qui contredit l’indissolubilité, mais bien l’engagement dans un second lien de mariage. La permanence du lien n’est pas brisée si les conjoints décident de ne plus vivre ensemble. Par ailleurs, la réconciliation est librement accordée par l’Église catholique aux divorcés non mariés.

    Le cardinal Ratzinger, à la lumière du Code du droit canon de 1983, interprète la question de l'indissolubilité ainsi : « Entre baptisés, le mariage est un sacrement (cf. Éphésiens 5, 32:). Dans ce cas, l’indissolubilité est absolue : ‘‘ en raison du sacrement, elle acquiert une solidité particulière‘‘ (can.1056). L'indissolubilité s'oppose au divorce et l'unité, seconde propriété essentielle du mariage, suppose la monogamie et la fidélité. Dans sa légalisation, l'Église a posé comme principe général que ‘‘ le mariage conclu et consommé (ratum et consommatum) ne peut être dissous par aucune puissance humaine, ni par aucune cause, sauf par la mort’’ (can. 1141), mais elle a pris en compte le caractère plus ou moins absolu de l'indissolubilité d'un mariage.

    D'une part, l'Église considère que le mariage valide de deux baptisés est ipso facto un mariage sacramentel (can. 1055 § 2). Dans ce cas, l'indissolubilité du mariage est absolue et ne peut être remise en cause qu'à la mort du conjoint, ou bien lorsque le mariage, bien que conclu, n'a pas été consommé. D’autre part, l'Église reconnaît la légitimité du mariage de deux non baptisés, mariage non sacramentel, et donc elle reconnaît son indissolubilité, comme le stipule le can. 1134 : ‘‘ Du mariage valide naît entre deux conjoints un lien de par sa nature perpétuel et exclusif’’. A celui qui voudrait après divorce se remarier avec un catholique, elle oppose un empêchement de lien (can. 1085), tant que le premier lien n'aura pas été reconnu canoniquement invalide. Cependant, considérant que l'indissolubilité des mariages non sacramentels n'est pas absolue, l'Église admet dans certains cas une dissolution des mariages légitimes, en faveur notamment d'un lien plus élevé, celui de la foi en cas de conversion. Elle admet aussi la dissolution en faveur de la foi d'un mariage ‘‘ dispar’’, également non sacramentel, entre un baptisé et un non baptisé. »

    Nous observons que l'indissolubilité est absolue seulement dans le cas du mariage sacramentel, conclu entre deux baptisés. La question de la dissolution du lien matrimonial peut se poser à certaines conditions, comme nous allons le voir plus loin. L'enseignement de l’Église exclut le divorce et soutient l'indissolubilité. Le Catéchisme de l’Église catholique affirme : « Le divorce est une offense grave à la loi naturelle. Il prétend briser le contrat librement consenti par les époux de vivre l’un avec l’autre jusqu’à la mort. Le divorce fait injure à l’alliance de salut dont le mariage sacramentel est le signe ». Étant donné que le divorce est une pratique actuelle dans notre société, le même document ajoute : « Si le divorce civil reste la seule manière possible d’assurer certains droits légitimes, le soin des enfants ou la défense du patrimoine, il peut être toléré sans constituer une faute morale ».

    La position du cardinal Ratzinger sur le remariage, publiée aussi dans la Revue de droit canonique, est la suivante : « C'est à Jean Paul II que nous devons la considération de l'engagement dans un second lien comme une « contradiction objective» (Familiaris consortio, n° 84). Une formule, plutôt heureuse, qui signifie que, sur un plan strictement objectif, indépendamment de ce qu'ont vécu et vivent existentiellement les personnes dans leur singularité et la particularité de leur situation, une contradiction existe entre leur vie et la norme ecclésiale, entre l'existence de deux liens et le sacrement de l'Alliance unique.

    Autrement dit, lorsqu’un mariage sacramentel entre époux baptisés a été consommé et qu'ils se séparent, c'est le remariage de l'un ou l'autre conjoint qui constitue une contradiction objective avec le commandement évangélique (Mc 10, 11- 12) et avec ce signe de communion d'amour entre le Christ et l'Église qu'est le sacrement (Ep 5, 31-32). En effet, objectivement, le remariage atteste que le précepte évangélique n'a pu être respecté.

    Selon les documents magistériels, les expressions utilisées diffèrent. L’engagement dans un second lien, rappelle Xavier Lacroix, est considéré non seulement comme « contradiction objective », mais encore comme « désordre moral objectif » ou comme « péché grave et manifeste ». Que penser de la variété des expressions utilisées pour qualifier la situation des fidèles divorcés remariés ? Sur le plan de la forme, ces différentes désignations laissent subsister un certain flou dans la définition de la situation des fidèles divorcés remariés, voire peut-être une certaine ambiguïté sur le fond, quant à cette distinction indispensable à poser entre la dimension « subjective » qui prend en compte la notion de péché, de responsabilité, de conversion, et qui relève de la vie spirituelle des personnes, et la dimension « objective » qui relève de la situation ecclésiale du couple.

    D'une manière générale, l'articulation entre le « subjectif » et « l'objectif » pose de vrais problèmes dans la pastorale [...]. Parmi ces désignations, certaines font l'objet d'un vif débat auquel participent pasteurs, théologiens, canonistes, et qui contribue à faire progresser la recherche actuelle. Nous pensons en particulier aux discussions concernant l'interprétation du canon 915, stipulant que « ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste » ne peuvent être admis à la sainte communion. Le magistère a souhaité mettre un terme à ce débat, en publiant la Déclaration du conseil pontifical pour l'interprétation des textes législatifs » datée du 24 juin 2000, dans laquelle il est clairement affirmé que la formulation du canon 915 concerne bien les fidèles divorcés remariés ; mais le débat ne paraît pas clos pour autant. [...].

    Saint Augustin, dit « Dans le sacrement, on a en vue ceci : que l'union conjugale ne peut être rompue, et que le renvoi ne permet à aucun des deux époux une nouvelle union même pour avoir des enfants ». Comme nous le constatons, le remariage n'est pas du tout bien vu, actuellement du moins, aux yeux de l'Église. D'après ce texte, il est synonyme d’une contradiction objective entre notre vie et la norme ecclésiale, d’un désordre moral et d’un péché grave et manifeste.

    Du point de vue de la forme, leur situation n'est pas claire, de par la distinction qui s'impose entre la dimension subjective qui fait référence au trinôme péché, responsabilité, conversion et la dimension objective qui est en rapport avec la situation ecclésiale du couple. Il n’existe qu’un seul mariage aux yeux de l'Église catholique. Il est indissoluble, jusqu’à la mort de l’un des conjoints. Le mariage peut être célébré plusieurs fois, dans des cas exceptionnels, suite à l'obtention de plusieurs déclarations de nullité. Admettons qu'un mariage soit déclaré nul suite à son invalidité, posons-nous la question : Qu’en est-t-il de la conduite à tenir ? Faut-il faire une pénitence ? Aussi étrange que cela puisse paraître pour certains non-catholiques, la réponse de l'Église est : « non ».

    D'un point de vue interconfessionnel, il est difficile pour un orthodoxe de comprendre l’absence d'un temps de pénitence avant et après la célébration du mariage religieux (une deuxième fois comme si c'était la première fois), vu la différence de conception du sacrement du mariage et du divorce entre les deux Églises. Pour résumer, nous constatons que l'indissolubilité est le fondement le plus solide de la sacramentalité du mariage . La manifestation de l'amour conjugal suppose chez les catholiques, comme chez les orthodoxes, une permanence.

    Comme il a été dit précédemment, le droit canonique présente cette permanence en termes d’indissolubilité. Il s'agit d'une indissolubilité au plan externe, manifestée par une autorité extérieure, et aussi au plan interne, entre les conjoints. L’engagement des époux aux yeux de l’Église est « définitif », « non réitérable, unique ».